Témoignage – Pierre

1 Fév, 2022 | Témoignages

Si je témoigne aujourd’hui, c’est pour sensibiliser sur les diverses conséquences, dû à la lenteur judiciaire concernant le syndrome du bébé secoué. La justice est lente, c’est vrai, nous le savons tous. Elle manque clairement et cruellement de moyens. Le syndrome du bébé secoué fait peur et est encore tabou. Vous mélangez les deux points majeurs, et vous tombez sur des dossiers qui ont pris la poussière au coin d’un bureau comme celui de mon bébé, Pierre*, décédé il y a maintenant 12 ans du S.B.S
 
Tout a commencé le 17 décembre 2009, mon bébé, âgé d’un mois et demi fait brutalement un malaise grave. Il fait plusieurs arrêts cardio-respiratoires et plonge dans le coma le plus profond. Alors que, jusque-là, c’était un bébé en bonne santé. Il est héliporté au CHU. Je me souviens, comme si c’était hier. À l’hôpital, choquée, je suis restée assise, 5 heures, dans la salle d’attente de la réa-pédiatrique, avant d’avoir des nouvelles et de rencontrer les médecins spécialistes qui étaient en charge de mon bébé.
Ils me disent tout de suite que le pronostic vital de mon bébé est engagé. Ils sont francs dès le départ, mais prennent soins d’être bienveillant. Ils m’expliquent qu’il a des hématomes dans son cerveau et qu’ils sont troublants. L’imagerie leur permet de repérer qu’ils sont d’âges différents et qu’ils sont évocateurs du syndrome du bébé secoué. Cela signifie donc que mon bébé a été secoué plusieurs fois.
 
Malgré ce diagnostic, ils m’informent qu’ils vont procéder à d’autres recherches afin d’écarter de manière sûre d’autres diagnostics. C’est la procédure à respecter avant d’en informer le Procureur de la République. Je passe les premières nuits dans leur service, dans une petite chambre de garde, puis j’arrive à avoir une chambre à la maison des familles. Ainsi, je reste au chevet de mon bébé. Son état de santé ne s’améliore pas, son activité cérébrale est quasi nulle. Je peux le prendre dans mes bras, mais je ne le reconnais pas. Je lui parle, mais j’ai tellement mal de le voir comme ça que ce sont des larmes de colère qui sortent le plus. Les médecins lui font tous un tas d’examens, ils sollicitent même l’avis d’autres médecins spécialistes sur Paris, pour d’autres recherche, mais en vain… Un seul diagnostic correspond aux différentes lésions de Pierre, le Syndrome du Bébé Secoué.
Une réunion collégiale s’organise, continuer les soins serait un acharnement thérapeutique. Il ne s’en sortira pas. Sa peau était marbrée depuis le départ, pour moi, il est décédé le 17. D’un accord commun, nous décidons donc de débrancher les machines qui le maintenaient en vie, le dimanche 27 décembre 2009.
On me propose sa toilette mortuaire et une vulgaire photo sans poésie de mon petit ange, je refuse. Je prends simplement les empreintes de ses mains et de ses pieds ainsi qu’une mèche de cheveux.
 
Les médecins en informent donc le Procureur de la République et expliquent qu’il faut attendre les résultats de l’autopsie et des analyses anatomopathologiques (prélèvements d’organes, conservés dans du formol), puisque le seul diagnostic différentiel qu’il resterait à ce stade, serait une malformation cérébrale.
Le 28 décembre 2009 il est autopsié, le 29 décembre 2009, c’est déjà l’heure du dernier au revoir, avant de fermer son cercueil. C’est une image qui me hante tous les jours, ou presque. Dans cette pièce froide, il était à la fois beau comme toujours et en même temps méconnaissable. Je devine le prélèvement d’un œil, je n’ai pas été prévenue. Le 31 décembre 2009 à lieu sa sépulture, tous les ans les périodes de fêtes ont un goût amer, il m’est difficile de ne pas me laisser envahir de tristesse et de colère.
 
Puis je me suis retrouvée seule, dans le sens où je n’ai eu aucun suivi, sans famille proche autour de moi. À 21 ans, je venais de perdre mon 1er enfant, mon seul fils, le choc de ma vie. Un sentiment immense de vide, parfois, je croyais l’entendre. C’était juste le manque de lui que j’entendais, c’est encore vrai 12 ans après. La vie continue, et je suis en mode « pilote automatique », une seule chose me tient debout à ce moment là, connaître la vérité sur la mort de mon bébé.
 
Je ne sais pas par où commencer, et quand j’en parlais aux proches qui m’entouraient à l’époque, on me répondait systématiquement qu’il fallait que j’arrête d’y penser, que je ne saurais jamais la vérité. J’ai refusé de m’y résigner. Les mots des médecins raisonnent tout le temps dans ma tête, mais comme rien n’est confirmé, j’ose espérer que c’est une mal-formation cérébrale où un problème durant l’accouchement. La maltraitance est trop dure à assimiler.
Alors, un doute s’installe. Depuis le départ, j’appelle le gendarme référant de l’affaire, toujours les mêmes réponses de sa part : « Madame, nous n’avons toujours pas les résultats de l’autopsie, il faut encore attendre ».
Nous sommes en 2011, et je ne comprends pas pourquoi , je n’ai toujours pas le rapport d’autopsie. En 2012, après un événement nouveau, le gendarme s’interroge, il m’explique que le médecin légiste écarte la mal-formation cérébrale ainsi qu’un problème à l’accouchement. Il ne me dit rien de plus, et je reste encore sans nouvelles pendant des années. En parallèle en 2012, l’analyse des organes à lieu. En 2013, un second rapport est demandé au médecin légiste en tenant compte des résultats d’analyses de ses organes. Les lésions de Pierre sont en faveur de secouements, violents.
Mais ça, je ne le sais pas encore. A ce moment-là j’étais au plus mal, révoltée contre la vie en général, dans l’incompréhension total, et presque sans sentiments. Je suis prisonnière de ma douleur qui m’enferme dans une armure. Un jour, une femme a compris ma détresse, m’a encouragé et aidé à écrire au Procureur de la République, j’ai écrit de nombreuses fois. Jusqu’à fin 2014, où je reçois une lettre d’un juge d’instruction. Elle indique que la justice ouvre une information judiciaire pour « recherches des causes de la mort ».
Je rencontre le juge d’instruction en tant que partie civile, accompagnée de mon avocate. Je donne à la justice tout ce qui me relit à mon petit ange, c’est dur de confier ses souvenirs si précieux. Il y a des photos, son carnet de santé, le carnet de grossesse et son cahier de bord. Vous savez, celui qu’on vous donne à la maternité, pour inscrire les prises alimentaires, les mictions et selles, poids… Allez savoir pourquoi j’ai continué, chaque jour de sa vie, à noter le moindre détail.
Le juge m’explique qu’il va y avoir une expertise sur pièces, puisque que mon bébé est malheureusement décédé ; que les dossiers médicaux sont complets (maternité, hôpital et légiste) ; la justice nomme un ou plusieurs experts et analyse tout, les dossiers médicaux avec les imageries, les témoignages des faits à l’époque, et ce que je viens de remettre au juge.
Automne 2016, deux experts médecins spécialistes judiciaires rendent leur rapport. Celui-ci est catégorique, Pierre a été secoué de façon certaine. Ils sont même capables de situer l’heure du dernier épisode de secouement en raison de l’apparition immédiate des symptômes, à savoir, son coma.
Je ne vais pas vous parler des faits en détails, ni de l’auteur présumé puisque le procès n’est pas passé, et je dois respecter la présomption d’innocence. Mais il faut absolument comprendre que quand on secoue un bébé, il faut une extrême puissance. Le geste est d’une extrême violence. En comparaison, il faudrait qu’un adulte soit secoué par un Ours pour avoir de telles lésions. En réalité, la tête est ballottée d’avant en arrière parfois avec des mouvements de rotation, cela provoque un phénomène d’accélération et de décélération. Ce phénomène engendre l’étirement et le déchirement du système veineux qui relie le cerveau à la boîte crânienne. Et les hématomes se forment ainsi que d’autres lésions. Les lésions sont comparables à un accident de voiture à 90 km/h pour un bébé… Alors quand tous diagnostics différentiels ont été étudiés, puis écartés, il est difficile de continuer d’être dans le déni.
En 2017, le juge d’instruction, me reçoit et m’informe qu’une information judiciaire criminelle s’ouvre, soit 8 ans après les faits… C’est très long… Le juge s’excuse pour la lenteur de la justice et me promet d’en faire une priorité. Il me dit qu’il a placé l’auteur présumé en examen, il est donc sous contrôle judiciaire et met tout un tas d’autres mesures en place. Je suis sous le choc, mais comme souvent dans ces affaires, l’auteur présumé nie les faits. Néanmoins, la justice est sûre d’elle concernant mon bébé.
 
J’ai passé des nuits entières à lire les thèses et anti-thèses, le dossier d’instruction, les différents rapports médicaux, comme beaucoup de parents de victimes je crois. Et j’ai fini par comprendre, et par accepter que les médecins et la justice avaient raison. Aujourd’hui, je n’ai plus de doute, ni sur les causes de la mort de mon bébé, ni sur l’auteur présumé des faits. Même si au départ, j’ai eu peur d’y croire.
Mon corps réagis, je vomis très souvent, surtout quand je sais que je suis susceptible de croisé l’auteur présumé. Je fais un appel au secours en 2018. Je suis diagnostiqué en Stress Post Traumatique, je suis obligée de réduire mon temps de travail plus que je ne l’imaginais.
D’autres séquelles était là avant que je comprenne, une anxiété sociale, ne plus supporter quand quelqu’un d’autre que moi lève la voix sur mes enfants, sans parler d’avoir arrêté de travailler pour les autres enfants quand ils étaient bébés. Parfois, l’attente et le manque mettent tellement mon cœur en souffrance, qu’à ce moment-là mon cerveau vrille et ne pense qu’à s’éteindre, mais les bruits de vie à la maison le remet en phase. Aujourd’hui, je ne suis plus seule, c’est ce qui fait la deuxième partie de ma force.
 
En septembre 2020, la justice demande la mise en accusation devant la Cours d’Assise, mais l’auteur présumé « fait appel ». Il se passe un an, je suis sans nouvelles. Je replonge dans le dossier, car je sais qu’il va falloir rédiger un mémoire écrit, pour le passage en chambre d’instruction.
J’ai toujours des séquelles, mais j’apprends à vivre avec, j’ai entrepris des thérapies, et je commence à intervenir sur le sujet pour sensibiliser au S.B.S, auprès de grands adolescents dans les écoles tournées vers les études du service à la personne, ou simplement parce qu’ils seront aussi potentiellement des parents un jour.
En septembre 2021, l’audience devant la chambre d’instruction à lieu. Dans ce genre d’audience, on demande à plusieurs magistrats de la Cours de vérifier le travail des juges d’instruction intervenu en amont. Les différentes parties, présentes ou non, rédigent un mémoire écrit, qui est étudié par la Cours. Ils rendent leur verdict plus tard.
En octobre 2021, je reçois la décision. La Cour confirme et ordonne la mise en accusation, un procès aura donc lieu. Nous sommes maintenant en janvier 2022, soit 12 ans après les faits, nous rentrons dans la 13e année…
Alors certes, les affaires avec détenus incarcérés en détention provisoire sont prioritaires, mais au bout de 12 ans, c’est usant… Je sais que ce ne sera pas en 2022 parce que la juridiction du département est à bout de souffle, alors il est temps que le gouvernement réagisse ! Si mon témoignage peut faire bouger les choses, et sensibiliser quelques personnalités politiques… Pour mon bébé, mais aussi tous les autres bébés secoués.
Pour ne plus que la justice soit aussi longue sur ce genre d’affaire, car oui elles existent. Des enfants meurent en trop grand nombre de violents secouements, d’autres en gardent des séquelles à vie quand ils survivent. Je remercie l’association Stop Bébé Secoué pour leur soutien depuis un moment maintenant.
Maintenant, j’estime qu’il est temps que la justice priorise vraiment le dossier de mon petit ange, en répondant à ses promesses faites en 2017.
 
 
La Maman de Pierre*
*le prénom a été modifié