Le syndrome du bébé secoué : le regard des professionnels

6 Nov, 2021 | Prévention, Témoignages

Le syndrome du bébé secoué est une pathologie grave du jeune enfant qui fait partie des Traumatismes crâniens infligés et non accidentels et relève dès lors de la maltraitance infantile.
Sa prise en charge médicale est primordiale au vu des risques de séquelles et de décès mais il est également important d’en considérer les aspects psycho-sociaux. Lorsque surgit ce drame, les familles sont plongées dans le chaos : que l’auteur présumé soit un parent proche ou un intervenant de type gardien(ne) ou accueillante(e) il faut pouvoir accompagner l’enfant et ses proches dans cette épreuve d’autant qu’il arrive parfois que le déni soit tel qu’aucune révélation ne permet à l’enfant de se voir restituer son statut de victime.
Au sein du service universitaire de Pédiatrie de Liège CHU-CHR, notre équipe pluridisciplinaire « Cellule Maltraitance » est amenée à prendre en charge les enfants victimes du syndrome du bébé secoué en tenant compte de tous ces paramètres.
 
 
Un diagnostic grave à poser rapidement
 
En moyenne notre service de pédiatrie accueille 4 enfants victimes du syndrome du bébé secoué par an. En 15 ans d’expérience, nous observons que la moyenne d’âge est proche des chiffres de la littérature (+/- 5mois) et que les facteurs dits de risque tels que la prématurité ou les grossesses gémellaires sont plus représentés. La maltraitance infantile existant dans tous les milieux socio-culturels, nos patients viennent eux-aussi de toutes les couches de la société.
Très souvent, les bébés arrivent en état grave via les urgences pédiatriques. L’urgence est alors vitale et mobilise les unités de soins intensifs, la neurochirurgie, l’ophtalmologie, la neuropédiatrie et nombre d’autres spécialités avec qui nous œuvrons afin de limiter et soigner les conséquences de ce syndrome. En effet, le secouement engendre des impacts du cerveau sur la boîte crânienne et une rupture de veines appelées « veines pont » qui se situent entre le cerveau et les méninges et provoque un saignement intracrânien : c’est l’hématome sous-dural témoin de la violence de ce traumatisme cérébral majeur. De plus, le secouement provoque des hémorragies oculaires dites rétiniennes. L’ensemble des signes cliniques permet de poser le diagnostic de manière certaine sur base de rapports scientifiques notamment la Haute Autorité de Santé. Evidemment, comme tout traumatisme cérébral majeur, les conséquences métaboliques et physiques sont importantes : respiratoires (apnées), convulsions, anémie… Tous ces symptômes sont à prendre en compte et à traiter rapidement afin de stabiliser l’enfant. Par la suite de nombreux examens médicaux et radiologiques devront être réalisés afin de suivre l’évolution de l’enfant.
Dans certains cas, l’évolution d’un bébé ayant été victime de secouement peut être plus frustre : il peut s’agir d’un enfant dont le périmètre crânien augmente trop vite ou qui régresse dans ses acquisitions psychomotrices. Les soignants devons dès lors être vigilants à rechercher la cause de ces symptômes.
 
 
Un diagnostic à annoncer
 
Comme tout diagnostic grave, celui de Syndrome du Bébé Secoué doit être annoncé avec respect et empathie. Toutefois, s’ajoute ici pour les équipes soignantes la notion de violence faite à un enfant qui si elle doit être énoncée en toute transparence ne peut faire en aucun cas l’objet d’une recherche de culpabilité qui n’entre pas dans le cadre de nos missions. Un bébé à protéger, des parents à accompagner, le secret médical à respecter… un défi pluridisciplinaire à relever. Au moment de l’annonce du diagnostic, une fois celui-ci établi, nous nous réunissons avec les médecins intensivistes et/ou neuropédiatres s’occupant de l’enfant et rencontrons les parents ou à défaut le tuteur légal de l’enfant. Les symptômes présentés par le bébé sont expliqués et corrélés aux résultats d’imagerie et de prélèvements sanguins. Faire le lien entre les signes que le bébé a présenté au moment du traumatisme et le caractère factuel des lésions médicales permet aux adultes de mieux appréhender la situation de l’enfant. Les mots sont mis sur les faits : avec respect mais transparence nous verbalisons les termes de « Syndrome du bébé secoué », « traumatisme non accidentel », « violence grave », « maltraitance ». Nous insistons auprès des parents sur le fait que nous leur transmettons ces informations en priorité car ils sont les seules légitimes à ce stade pour les recevoir : ils sont les parents d’un bébé à qui quelqu’un a fait du mal et dont le pronostic neurologique voire vital est engagé. Nous répondons à chaque question et l’entretien peut durer plus d’une heure. Au vu de la gravité des lésions infligées, nous informons les parents que nous avons le devoir d’informer les Services d’Aide à la Jeunesse (protection de l’enfance) et le Substitut du Procureur puisque nous notre rôle n’est pas de se substituer à ces intervenants. Toutefois, nous leur précisons également qu’il leur est également possible de porter plainte également en leur nom. Ce processus d’informations multiples prend du temps et divers moments de rencontre sont organisés afin de répondre au mieux à toutes les questions parentales d’autant que très souvent suite au signalement de l’institution hospitalière et/ou à la plainte des parents, s’enclenchent alors des procédures telles que la venue d’un légiste au chevet de l’enfant, des auditions et bien entendu une intervention des Services d’Aide à la Jeunesse dont le rôle est de s’assurer de la sécurité de l’enfant dans son milieu de vie, du lien d’attachement qui le lie à ses parents et des capacités de protection de ces derniers.
 
 
Un diagnostic qui doit prendre sens : l’intervention pluridisciplinaire de la Cellule Maltraitance
 
A une hospitalisation qui peut prendre des semaines sur le plan médical s’ajoute la nécessité de ne pas laisser ce temps mort aux questions de lien d’attachement et de protection. Très souvent dans notre expérience, l’auteur reste inconnu du moins durant cette période et très vite il devient nécessaire de travailler ces notions avec la famille mise à mal par le diagnostic et le devenir médical de l’enfant. Les Services d’Aide à la Jeunesse mandatent alors des équipes pluridisciplinaires spécialisées en maltraitance infantile et dans les notions de lien d’attachement et de parentalité afin de d’évaluer les conditions de vie les plus adéquates pour l’enfant à sa sortie en mesurant à la fois le risque et la nécessité pour lui de vivre auprès de ses figures d’attachement. C’est dans ce contexte que notre équipe intervient -notre mandat ne prenant cours qu’une fois le pronostic vital désengagé afin que les familles puissent se mobilier autour de ce travail-. Les objectifs du bilan sont définis à savoir non pas établir la culpabilité de l’une ou l’autre personne évoluant auprès de l’enfant (ce travail est fait par la justice) ; mais bien évaluer comment les parents envisagent ce diagnostic, le danger auquel leur enfant a été soumis et mettre leurs capacités parentales au service de sa protection. Le bilan se déroule via :
– Une prise en charge en psychomotricité relationnelle lors de séances individuelles avec le bébé mais aussi avec ses parents.
– Des entretiens psycho-sociaux où les parents rencontrent le psychologue et l’assistant(e) social(e). Lors de ces entretiens, l’objectif est d’analyser l’histoire du couple en tant qu’individu et en tant que couple et de travailler les notions de parentalité autour de la situation qu’ils vivent avec leur enfant. Au-delà du bilan et de l’analyse des capacités protectionelles, notre équipe apporte un soutien à la famille tout en gardant un regard systémique. Le projet parental, le désir ou non d’enfant, les fragilités intergénérationnelles, les injonctions à la parentalité parfaite… autant d’écueils qui peuvent mettre à mal les individus et les familles.
– Des éducateurs spécialisés assurent le quotidien de l’enfant, encadrent et médiatisent les visites parentales. Ces moments (bains, soins, balades, portage, repas…) redonnent confiance aux parents dans les gestes quotidiens apportés à leur bébé eux qui l’ont vu bardé de tuyaux et de machines qui effrayent et parfois empêchent un lien de proximité. Bien entendu, les intervenants ont une grille de lecture qui leur permet d’évaluer l’adéquation des gestes et paroles et de les remettre en lien à la fois avec la notion de bienveillance parentale et de protection.
 
 
Quand l’auteur se dévoile… ou pas
 
Au cours de la prise en charge, la notion selon laquelle il est primordial que l’auteur se dévoile est largement abordée. Que celui-ci soit un(e) accueillant(e ), un parent ou beau-parent (cas de figure le plus largement rencontrés), reconnaître sa responsabilité et ainsi légitimer l’enfant en tant que victime qui plus tard aura accès à l’intégralité de son histoire traumatique (physique et psychique) demeure un facteur d’évolution ultérieure favorable. Notre équipe a connu des situations telles que celles-là qui si elles restent dramatiques permettent aux familles d’agir sur leur douleur et celle de l’enfant. Notre équipe accompagne alors les familles dans la restitution à leur enfant de son histoire quand plus tard, ayant accès à la parole il la questionnera. Dans d’autres circonstances, aucun adulte à la fin de la prise en charge n’a reconnu sa responsabilité et se pose dès lors la douloureuse question d’un lieu de vie sécure pour l’enfant. Le travail systémique réalisé par notre équipe prend alors tout son sens : permettre au bébé de retrouver sa famille et sa fratrie dans un lien d’attachement de qualité et un milieu sécurisé parfois moyennant la prise de relais par des équipes à domicile ou au contraire avoir perçu et mis en évidence des fragilités parentales qui si elles ne remettent pas en question l’amour qui est porté à l’enfant questionnent la capacité de la famille à offrir un cadre sécure du moins au moment de la sortie d’hospitalisation. Notre équipe propose alors en toute transparence une orientation de prise en charge et de milieu de vie aux parents et aux Services de l’Aide à la Jeunesse qui sont eux légitimes et compétents pour l’appliquer ou non.
Bien entendu, le suivi médical rapproché de l’enfant est mis en place de manière rigoureuse.
 
 
Le Syndrome du Bébé secoué : une pathologie complexe à la prévention primordiale
 
Entre faits de violence extrêmes pouvant aller jusqu’à ôter la vie à un tout petit et détresse parentale, fragilités psycho-sociales, épuisement, perte de contrôle et parfois malveillance avérée, il n’est pas simple pour les soignants médico-psycho-sociaux et pédiatrique de rester neutre et de garder le seul objectif qui prime : l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est pourtant une obligation garante d’une prise en charge juste envers le patient qui nécessite formations et expertise tant sur le plan médical que systémique.
Pourtant, une prévention auprès des parents et futurs parents non pas uniquement sur la dangerosité du secouement mais aussi des réalités difficiles liées à la parentalité devrait pouvoir être bien plus large. Se sentir démuni, en colère et frustré devant les pleurs d’un bébé est normal, le post-partum peut-être une période douloureuse physiquement et émotionnellement loin des images de bonheur sans faille véhiculées par la société et les médias… et non, laisser un bébé pleurer quelques instants parce vous êtes à bout ne le traumatisera pas : au contraire en mettant des mots sur cette émotion (« je vois bien que tu exprimes quelque chose mais là je suis épuisé(e) je te laisse en sécurité dans ton berceau, je t’aime, je suis là mais je m’éloigne quelques instants afin de te retrouver plus sereinement ») l’adulte respecte autant son émotion que celle du bébé. Ce sont aussi ces notions que l’équipe de la Cellule Maltraitance du CHU-CHR de Liège travaille avec l’ensemble des parents que nous rencontrons.
 
 
Docteur Sandra PANNIZZOTTO
Pédiatre responsable de l’équipe pluridisciplinaire Cellule Maltraitance CHU-CHR Liège