Témoignage – Noah

17 Juin, 2021 | Témoignages

12 octobre 2018, le jour où ma vie bascula, où sa vie commença doucement à s’éteindre.
 
Noah, mon bébé, allait avoir 6 mois. 6 mois de vie illuminée chaque jour par son sourire, puis son rire et ses gazouillis.
Pourtant ce fut délicat, un bébé « surprise », un déni de grossesse, ce fut peut-être cela qui fit de lui un enfant si facile a vivre. Il avait donné un sens à ma vie, et chaque matin me donnait la force d’aller affronter le monde pour lui donner la plus heureuse des vies.
 
Jusqu’à ce jour fatidique où je pris le chemin du travail, Noah gardé par son père.
 
Dans le courant de la matinée, j’ai reçu une vidéo de mon fils hurlant, son père se plaignant qu’il n’arrêtait pas de pleurer… Je l’ai rassuré, lui souhaitant du courage. Un peu plus tard, un appel. Noah est transporté d’urgence a l’hôpital. Son père rapporte qu’il aurait fait tomber un biberon, le bruit aurait surpris mon fils qui aurait commencé à convulser. Les tremblements s’emparent de mon corps et le sang pulse dans mes veines, j’accours à l’hôpital.
 
Ma chaire, mon sang, mon tout petit est dans un lit immense, la moindre parcelle de son corps tout frêle est reliée à un fil, mon monde s’arrête de tourner. Le diagnostic tombe, il aurait été victime du syndrome du bébé secoué. Une colère grandissante s’empare de moi. Le papa nie en bloc.
 
Les heures, puis les jours passèrent. Le service néonatalogie, une lumière tamisée, le personnel soignant chuchotant, des regards de compassion, des machines hurlant leurs bip a longueur de journée. Je lui fais sa toilette et je peux parfois l’avoir près de mon cœur, ce mouvement qui était si simple jusqu’ici, le prendre dans mes bras et le poser au creux de moi est devenu tout un processus : appeler une aide soignante, me poser dans un fauteuil, rapprocher les machines, le soulever délicatement, retirer le tube qui l’aide à respirer, la machine s’affole, son rythme cardiaque s’envole le mien aussi, puis une fois dans mes bras lui remettre ce tube. Je tiens alors la prunelle de mes yeux, à ce moment là c’est une poupée délicate que je porte, aucun mouvement ne peut rassurer mon cœur de maman.
 
On vit au jour le jour, attendant des résultats, on s’accroche au moindre espoir, un doigt ou un pied qui bouge, des yeux qui roulent sous les paupières, une tension ou un rythme cardiaque qui se stabilise.
 
Et puis je me retrouve dans une salle de réunion, entourée de médecins, on m’explique que son cerveau est détruit a 90%. Il restera dans un état végétatif. Il ne pourrait respirer, manger , faire ses besoins qu’à l’aide de machines artificielles.
Le ciel me tombe sur la tête, tout ce que j’avais hâte de partager avec lui, de le voir accomplir : marcher, courir, faire du vélo, dire “maman”, faire un coloriage, de la pâte à modeler, aller à la piscine, fêter son premier anniversaire, le voir ouvrir ses premiers cadeaux de noël, à tout cela je dois dire adieu.
Pour enfoncer le clou , nous apprenons le soir même que nous sommes convoqués le lendemain matin à la gendarmerie. Le père est dévasté, il se trouve dans un état dans lequel je ne l’avais jusqu’alors jamais vu. Nous ne le savons pas encore mais nous partons pour 48 heures de garde à vue. Un nouveau calvaire commence… Des longues heures d’interrogatoire, une cellule froide, des menottes. On n’a de cesse de me répéter que c’est la procédure, que si je n’ai rien fait ça sera bientôt terminé. Dans mon esprit c’est la confusion la plus totale. Mon fils est seul dans un lit, sans sa maman près de lui. Je dois répéter un nombre incalculable de fois, de toutes les manières possibles et inimaginables, qu’au grand jamais je ne toucherais un seul cheveu de mon fils.
 
Je finis par être relâchée au bout de deux journées qui m’ont paru être sans fin.
 
J’apprends que le père vient d’avouer avoir secoué notre fils.
Mon cœur devient aussi noir que du charbon, cet homme qui vient de passer ces dernières semaines au chevet de notre enfant, qui a dormi à mes côtés et qui m’a affirmé n’avoir rien à voir là-dedans et qui a même osé me reprocher ne pas lui faire confiance. Cet homme a secoué ma chaire, et par sa faute notre fils n’a pas pu être secouru à temps, pour brouiller les pistes il a effacé cette fameuse vidéo de Noah pleurant, alors que son fils convulsait à côté de lui, il a préféré aller voir la voisine pour demander de l’aide au lieu d’appeler directement le samu. Une perte de temps précieuse pour Noah qui a fait plusieurs arrêts cardiaques sur le chemin menant à l’hôpital.
 
Je vais donc me battre seule pour mon fils, essayant tant bien que mal de contenir ma haine et toute ces affreuses pensées qui, sans répit, envahissent mon esprit.
 
On commence doucement à évoquer la possibilité de devoir le débrancher mais je ne veux pas l’entendre. Comment pourrais-je prendre la décision d’arrêter de donner de l’air à mon bébé, ça serait lui donner la mort sur mon ordre.
 
Au fil des jours, on augmente les doses de morphine et autres substances lui évitant de souffrir, ce qui peut aussi causer à n’importe quel moment un arrêt cardiaque. Une infection s’est déclarée au poumon, les médecins se sont concertés, ils ne soigneront pas cette infection, ce serait de l’acharnement thérapeutique alors les doses de morphine sont encore poussées.
Je sens que la fin approche alors je veux garder de lui ce que je peux encore, une empreinte de ses petits pieds, l’odeur de ses peluches préférées…
 
Le 27 octobre 2018, date fatidique, j’ouvre pour la dernière fois les volets, pour la dernière fois je vois les rayons du soleil sur le visage immaculé et innocent de mon bébé. Je ne veux pas qu’il souffre, je veux qu’il repose en paix.
Les mots les plus déchirants que j’ai eu à prononcer « Je veux que ce soit maintenant » . Je me dois d’être forte une dernière fois pour lui. Les médecins poussent la morphine au maximum, une dose tel que son cœur succombera sans souffrance.
Je veux être seule avec lui, je l’ai mis au monde, je veux l’accompagner jusqu’au dernier battement de cœur.
C’est un instant hors du temps, irréel. Chaque seconde qui passe dans cette pièce c’est un fragment de mon cœur qui se déchire. Ce ne fut pas rapide, il s’est accroché comme depuis le premier jour de son existence, je n’en attendais pas moins de mon petit guerrier.
Comment aurais-je pu imaginer à 21 ans tenir dans mes bras le corps inerte de mon petit garçon qui à peine quelques semaines auparavant était plein de vie…
 
Quitter l’hôpital fut une délivrance et le début d’un couloir sans fin ; ranger ses affaires, retirer les photos du mur, porter sa chaîne de baptême autour de mon cou pour l’avoir pour toujours auprès de moi, organiser son enterrement, devoir choisir des chants d’église, la couleur d’un cercueil.
Et puis les jours défilent, les semaines, que faire ? Où aller ? Quel avenir alors que ma vie m’a été retirée ?
 
Désormais, c’est un long processus judiciaire qui est en marche, le père a été libéré après 7 mois de détention jusqu’au procès, c’est un nouveau coup dur, comment vivre alors que l’homme qui a tué mon bébé est désormais dehors, de voir qu’il profite pleinement avec un grand sourire aux lèvres pendant que mon chérubin repose six pieds sous terre, seul.
Ce sera le combat de toute ma vie, rendre justice à mon fils. Puisqu’un geste pour un homme qui perd patience, agacé, use de sa force et de son aptitude à dominer une situation face à un bébé, un être frêle qui ne peut s’exprimer que par des pleurs, se voit arracher la vie par la personne qui est censée l’aimer et le protéger.
 
Secouer un enfant prend 10 secondes, la perte de cet enfant ne se guérit jamais.
 
 
Inès, Maman de Noah