Témoignage de Julie, maman d’une fille de 8 ans (secouée à l’âge de 6 mois par son assistante maternelle), d’un garçon de 7 ans et d’un garçon de 3 ans.
Aujourd’hui je souhaite vous faire part de mon témoignage personnel sur le syndrome du bébé secoué, l’histoire de ma petite fille qui a été secouée à l’âge de 6 mois par l’assistante maternelle qui la gardait.
J’ai longuement décrit ces années de douleur, ses séquelles et années de rééducation intense.
Mais aujourd’hui j’aimerais vous parler de deux autres victimes elles aussi.
Ce sont les deux petits frères de Zoé. Je me contenterai de parler de Robin, car Samuel est encore très jeune et, bien qu’il se rende bien compte qu’il est plus rapide que sa sœur, il ne s’exprime pas encore beaucoup.
Il était une fois un petit bébé, un petit garçon prénommé Robin. Il aurait pu naître un jour de soleil en août 2013, accueilli par de jeunes parents ayant hâte de voir leur deuxième enfant. Sa sœur âgée de 2 ans aurait pu entrer dans cette chambre de maternité et enlacer ce nouveau-né les yeux émerveillés… Hélas, ce petit bébé ne savait pas lui. Il ne savait pas encore que sa vie ne serait pas facile. Il ne savait pas qu’il entrait dans une famille meurtrie, il ne savait pas que sa grande sœur ne pouvait pas le voir étant malvoyante suite à une maltraitance subie lorsqu’elle était elle même bébé…
Robin est né deux ans après sa sœur. Il a avant tout cela partagé dans mon ventre des émotions intenses, il a certainement perçu le stress de sa maman désespérée face au handicap de sa sœur, il a certainement entendu les pleurs de sa maman face à l’injustice de la situation dans laquelle elle se trouvait : enceinte d’un bébé alors que la garde de sa première fille lui avait été enlevée… Alors que l’enquête n’avançait pas. Il a sûrement ressenti la culpabilité de sa maman qui n’avait pas imaginé pouvoir vivre sa grossesse en étant si triste et en même temps si heureuse de porter la vie… Ses premiers jours en maternité ont été du pur bonheur, un petit bébé en bonne santé, très éveillé qui me comblait d’amour, qui me réapprenait à devenir pleinement maman. Puis arrive le temps de découvrir sa maison. Le retour fut difficile pour les parents : dès que Robin se mettait à pleurer, sa grande sœur avait très peur, hurlait ne comprenant pas ce qu’il se passait. Je crois que c’est à cet instant que j’ai compris que m’occuper de mon fils avec joie, amour, positivité allait se heurter avec la peur, le handicap de sa sœur.
Les premiers mois sont passés sans soucis. Robin avait l’habitude d’aller une fois par jour chercher sa sœur à l’IEM situé à 45 minutes de chez nous. Puis, à l’âge de 5 mois, Robin a commencé à attraper des jouets qu’on lui présentait seul. Je me souviens du jour où il l’a fait pour la première fois. Nous étions sur le canapé, lui et moi. Je jouais avec lui allongé devant moi et il a attrapé son jouet pour la première fois. J’ai tout de suite fait un grand sourire en lui disant « bravo mon bébé »… Et quelques secondes après, les images de ma Zoé en rééducation travaillant tous les jours pour faire ce geste si simple pour tous m’ont fait monter les larmes. J’ai beaucoup pleuré en me disant que ma fille avait mis 9 mois d’ergothérapie pour pouvoir faire ce que mon fils faisait naturellement à 5 mois. Tout de suite après j’ai pleuré encore, mais cette fois ci de culpabilité face à mon fils. Robin aurait dû voir de l’admiration seulement dans les yeux de sa mère et pas de la tristesse ou colère. Je vous raconte ce passage de ma vie pour vous faire comprendre qu’au quotidien, nous sommes partagés entre joie de le voir réussir et tristesse de voir que notre fille ne sait faire ou ne pourra jamais faire comme lui.
Robin a toujours eu et a encore un sommeil très difficile. Il a réclamé un biberon durant 2 ans la nuit. Il a été un bébé à la fois sage et très nerveux. Je ne peux m’empêcher de penser que les conditions de la grossesse et d’accueil de mon fils lui ont transmis ce stress, ce caractère impatient parfois. La personne coupable de maltraitance envers ma fille a été jugée 4 ans après les faits. Nous avons donc assisté au procès aux assises durant deux jours. Nous avons dû confier nos enfants à des membres de notre famille autres que les grands parents ce qui n’était pas habituel pour eux. J’ai donc décidé d’expliquer à mes enfants ce qu’il était vraiment arrivé à Zoé, que c’était une femme méchante qui avait fait mal à la tête de Zoé et que nous partions au procès pour la punir car ce qu’elle avait fait était interdit et qu’on ne doit pas faire de mal à un bébé.
Comment imaginer ce qui peut se passer dans la tête d’un petit garçon de 2 ans et demi quand il entend l’inexplicable ? Quand il est face à sa maman, la voix tremblotante, peinant à cacher ses larmes ? Le retour à la maison après ces journées éprouvantes a été difficile. J’étais là mais en même temps toujours là-bas, dans cette salle froide devant le monstre qui a détruit nos vies. Mes enfants l’ont bien ressenti, ce sont des éponges. Robin a commencé à avoir beaucoup de mal à gérer ses propres émotions. Cela se traduisait par des crises de larmes, des cris pour des choses qui ne nous paraissaient pas justifier ses réactions extrêmes. Je me disais que c’était l’âge, que le très jeune enfant a du mal à gérer tout ce tsunami d’émotions donc que ça va passer…
Plusieurs années après Robin a toujours autant de mal à gérer tout ça et réagit toujours avec autant de force. Quelques temps après le procès, un jour où nous étions sur les marches d’escaliers chez nous, prêts à monter pour aller se coucher, Robin m’a demandé : « maman, si la dame qui a fait mal à Zoé vient frapper à la porte, qu’est-ce-que tu vas faire ? ». Là, mon cœur s’est mis à battre la chamade, mes jambes ont failli se dérober. On a beau se dire que les questions viendront un jour, on n’est jamais vraiment prêts, on se prend vraiment une claque en pleine figure. Je lui ai répondu qu’elle était en prison, qu’elle ne viendrait jamais, qu’elle ne savait pas où nous habitions et que je ne lui ouvrirais certainement pas. Les jours ont suivi et les questions, remarques continuaient… « Mamie, elle a les yeux de quelle couleur la madame qui a fait mal à Zoé ? Moi je pense qu’elle a les yeux noirs car les sorcières ont les yeux noirs »… Toutes les semaines, Robin disait à sa sœur « ah oui Zoé, toi tu marches comme ça (il l’imitait marchant sans bon équilibre) car il y a une dame qui t’a secouée quand tu étais bébé ? » Sa sœur ne répondait quasiment jamais ou changeait de sujet, certainement mal à l’aise d’aborder ce sujet si difficile. Il dessinait aussi à cette période beaucoup de dessins noirs, très foncés. Nous avons également remarqué que Robin avait peur des adultes, en particuliers des femmes qu’il ne connait pas. Sa mamie habitant un immeuble, il prenait tous les jours l’ascenseur et se cachait derrière sa mamie quand une dame rentrait. J’ai pensé au début à la peur d’être dans un endroit confiné… mais il ne réagissait pas forcément comme ça quand c’était un homme. Il a toujours beaucoup de mal à adresser la parole aux femmes même celles qu’il connait.
Je ne peux en être sûre mais je me demanderai toujours si c’est son caractère très timide ou s’il a peur car il pense que les femmes sont méchantes, ou dangereuses. Tout ceci m’a beaucoup inquiétée et je me suis décidée à l’emmener chez une psychologue. Le bon côté des choses était qu’il arrivait à en parler car dans certains cas, les enfants cachent leurs émotions, pour ne pas faire de peine aux parents. Cette période a duré quelques mois, puis il n’en a plus parlé.
Aujourd’hui, Robin a 7 ans. Il est intelligent, curieux, c’est le plus beau garçon du monde, oui je suis objective bien sûr… mais c’est un petit garçon hypersensible, qui se met une pression pour réussir. Robin pleure énormément à chaque frustration aussi petite soit-elle. Il ne contrôle pas ses émotions, il ne supporte pas qu’on lui fasse la remarque quand il ne fait pas bien quelque chose. Il se met en colère mais je sais qu’il est en colère contre lui.
La colère, parlons-en. Comment ne pas être en colère ? Il voit sa sœur qui est différente et donc a besoin de plus d’attention et d’aide au quotidien que lui. Il ne comprend peut-être pas pourquoi on exige de lui qu’il mange proprement avec ses couverts alors que sa sœur a le droit d’utiliser parfois ses mains etc… Il y a la colère qu’il ressent envers sa sœur parfois, qui est maladroite, lente, qui n’arrive pas à le suivre quand ils essaient de jouer ensemble. Il y a aussi la colère envers les adultes sûrement qui portent plus d’attention sur sa sœur que sur lui-même si nous essayons toujours d’être justes, d’expliquer, de lui accorder du temps pour lui. Tous nos choix de vie se font en fonction des problèmes de notre fille. Une sortie, un voyage, des vacances… Je sais que nous ne faisons pas les sorties que nous aimerions faire car Zoé a du mal à marcher. Se promener en forêt en famille est souvent compliqué car Zoé est grande pour être en poussette maintenant. De même, je ne peux sortir seule avec mes 3 enfants pour me balader. Je ne peux pas demander à un garçon de son âge de ralentir tout le temps le rythme de marche. Depuis quelques temps, Robin ne nous parle plus du handicap de sa sœur ou de la nourrice. Par contre, il en parle parfois à ses mamies avec qui il est très proche. Ainsi, il a pu confier à une de ses mamies qu’il n’osait pas en parler à sa maman car ça la rendrait triste. Mon cœur de maman a eu mal en entendant ceci même si je suis contente qu’il ait trouvé quelqu’un à qui se confier.
Depuis trois ans, nous avons accueilli un nouveau petit garçon, Samuel. Un vrai bonheur est venu nous remplir à nouveau le cœur d’amour. Robin a tout de suite très bien accepté son frère et est très complice avec lui. Il est hyper protecteur envers Samuel. Je commence à m’inquiéter de ce comportement qui gêne Samuel au point que celui-ci le repousse, le frappe pour pouvoir respirer un peu. Je me demande si cela a un rapport avec ce que sa sœur aurait vécu, si inconsciemment, il veut le protéger de quelqu’un, quelque chose ?
Robin a aujourd’hui beaucoup de mal à trouver sa place. Il est l’enfant du milieu et pourtant a un peu le rôle de l’aîné car doit montrer l’exemple aux autres. Il n’arrive pas à se positionner entre sa sœur handicapée moteur et visuelle qu’il aide de temps en temps et son petit frère à qui il donne toujours tout. Je pense qu’il s’oublie un peu, qu’il n’arrive pas à avoir confiance en lui. Il est très timide et a beaucoup de mal à s’ouvrir vers l’adulte. Il a aujourd’hui encore du mal à parler à sa maîtresse qu’il connaît très bien. A cause de sa grande timidité, il ne montre pas ce dont il est capable et donc se dévalorise beaucoup.
Parlons maintenant de l’avenir… Il y a bien longtemps que nous avons compris que l’avenir serait un gros point d’interrogation pour notre fille. Depuis ses six mois, les médecins, rééducateurs nous répondent à chaque fois la même chose : il faut vivre au jour le jour et nous ne savons pas ce qu’elle pourra faire ou pas. J’ai très peur de l’avenir de ma fille car je ne sais pas si elle pourra avoir un travail même adapté à ses handicaps, ou si elle aura une vie sociale. De ce fait, nous imaginons et voulons nous préparer au pire des cas : notre fille vivant chez nous, dépendante de nous pour gérer les tâches du quotidien. Je pense souvent à l’avenir de mes fils aussi. J’ai peur qu’ils aient la responsabilité de leur sœur. J’ai peur qu’ils aient à prendre des décisions difficiles, qu’ils aient à s’occuper de leur sœur quand nous ne serons plus là. Cela me fait tellement mal. Ce n’est pas leur rôle et pourtant ça leur sera imposé. La période de l’adolescence est une période difficile pour un enfant et souvent pour ses parents. Je redoute énormément cette période. Robin a et aura toutes les raisons d’être en colère. Et comment vais-je pouvoir le rassurer ? N’aura-t-il pas de rancœur envers sa sœur ? Ou de la rancœur envers nous les parents ? Sa colère légitime envers la nourrice se dirigera peut-être sur quelqu’un d’autre ? Encore et toujours des doutes, des inquiétudes pour l’avenir.
Aujourd’hui, notre combat continue. Nous avons entamé la procédure de demande d’indemnisation pour nos 3 enfants. Je dis bien le mot « combat » car l’avocat de la CIVI (Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infraction) a déjà rejeté le fait que les petits frères de Zoé soient des victimes. En effet, ils sont nés après les faits et donc aux yeux de la justice, ils ne subissent pas de préjudices. Et pourtant qui doit vivre avec les handicaps de leur sœur au quotidien ? Comment penser que Robin et Samuel ont les mêmes parents que si Zoé n’avait rien subi ? Non nous ne donnons pas la même éducation que si rien de cela ne s’était passé. Je me bats pour que mes fils soient reconnus aussi comme victimes à part entière.
Secouer un bébé est un acte extrêmement grave. Les conséquences pour la victime directe peuvent être désastreuses. Mais ce qu’il faut comprendre c’est que c’est toute une famille qui est bouleversée. Les parents, les grands parents, la fratrie aussi subissent des conséquences lourdes à porter psychologiquement.