Témoignage – Maël

17 Avr, 2020 | Témoignages

Écrire mon témoignage et poser des mots sur mes maux ce n’est pas mon fort mais si ça peut permettre de faire ouvrir les yeux à plusieurs personnes alors je n’hésite pas une seule seconde.
 
Après une grossesse très compliquée, j’ai mis au monde mon fils Maël à 31 semaines, il est par la suite resté 1 mois et demi en néonatalogie. Durant cette période difficile, je n’ai pas été très soutenue par le père de Maël, celui-ci ne venait pas souvent au chevet de son fils et ne s’investissait pas.
 
A la sortie de la néonatalogie, nous n’avons eu aucun accompagnement et avons été livrés à nous-mêmes. Je précise que ce soit lors de ma grossesse ou en néonatalogie, nous n’avons jamais eu aucune prévention sur le syndrome du bébé secoué.
 
Lors de notre retour à la maison avec notre bébé le 26 février 2018, nous étions tellement heureux d’avoir enfin notre famille réunie. Je ne peux pas expliquer la joie que j’ai pu ressentir en tant que maman, ces choses-là sont inexplicables. J’étais comblée, remplie d’amour, et de son côté, le papa était heureux, aimant et très câlin avec son fils. C’était un homme stable, et n’ayant jamais eu un geste déplacé envers moi même lors de disputes.
 
Quelques semaines plus tard le cauchemar commença… Quelques jours avant le drame, le papa a crié à plusieurs reprises sur Maël car il ne supportait pas qu’il « pleure pour rien ». Mon bébé était quand même un bébé prématuré avec des reflux gastro-œsophagiens, il avait sûrement des douleurs expliquant ces pleurs.
 
Ma vie a basculé le 16 mars 2018. Alors que le papa travaillait de nuit, c’est donc moi qui m’occupait de notre petit bout. Mais étonnement ce jour-là, notre fils n’était pas comme d’habitude. Lui qui était si calme et si joyeux, ce fût une journée vraiment difficile.
Bébé pleurait énormément, en tant que maman on se sent impuissante de ne pas savoir pourquoi autant de pleurs. J’ai donc tout essayé : le biberon, le change, le bain, un peau à peau, des mots d’amour, des tendresses venant de sa maman, mais rien n’y faisait.
Entre-temps le papa était parti travailler, il faisait du covoiturage avec un de ses collègues. Il m’a appelé sur la route car il a eu un accident de voiture, il est rentré à la maison grâce à une amie en commun, mais en tant que femme aimante je ne comprenais pas pourquoi il n’avait pas été aux urgences, je lui ai donc conseillé de s’y rendre au moins pour être rassurée, chose qu’il a faite. Sur le coup je n’ai pas prêté attention mais quand il est parti il n’a pas embrassé son fils alors qu’habituellement il le faisait.
 
Je continuais à m’impliquer dans mon nouveau rôle de maman et essayais de répondre au mieux aux besoins de mon fils.
La nuit commença à tomber, il était 22h, donc je savais que ça serait l’heure de l’avant dernier biberon de bébé. Il pleurait un petit peu moins, il a bu son biberon tranquillement mais quelques minutes plus tard il s’est mit à vomir, je l’ai donc mis sur le côté (c’est ce que la néonat m’avait conseillé) il s’est donc rendormi sur moi.
Puis à minuit le papa est rentré des urgences en me stipulant qu’il avait le tympan perforé. J’ai profité de sa présence pour aller prendre une douche.
À deux heures du matin à nouveau bébé pleura pendant son dernier biberon (oui son dernier puisqu’il n’en boira plus jamais d’autres). Ce biberon a été très compliqué, bébé buvait tout en pleurant. Je suis donc partie dans notre chambre avec Maël pour tenter de le calmer, mais rien ne fonctionnait. Je me sentais désemparée, mon cerveau s’est mis en mode off ce qui m’as permis de réaliser que ce n’était pas une bonne chose. J’ai donc posé bébé dans son lit, sur le dos et je suis sortie fumer une cigarette. Nous avons donc décidé ensemble de retourner dans notre chambre, j’ai repris bébé dans mes bras, en discutant avec le papa nous avons conclu qu’il fallait absolument appeler le SAMU.
Pendant mon appel, c’est le papa qui tenait Maël dans ses bras. J’ai quitté cette pièce sous les conseils du médecin car avec les pleurs de bébé, elle n’entendait pas très bien ce que je disais. Quelques secondes plus tard j’ai entendu mon conjoint crier 3 ou 4 fois le prénom de notre fils, je suis arrivée dans cette chambre en voyant mon petit bébé allongé sur notre lit, sur le dos, blanc comme un linge, les lèvres devenant bleues. Son cœur s’était arrêté. J’ai hurlé au téléphone, qu’il fallait qu’ils se dépêchent, que mon fils ne respirait plus. Le médecin m’a demandé si je savais faire un massage cardiaque, mais j’étais tétanisée. Le papa s’est donc proposé de le faire je l’ai donc laissé au téléphone avec une professionnelle et je suis allée à la porte d’entrée pour attendre les secours qui sont arrivés très vite.
Quand tout le personnel soignant est arrivé sur les lieux j’étais tellement dans un état second qu’ils m’ont demandé de sortir de la chambre et de les laisser faire leur travail. Ils ont mis vingt minutes à réanimer mon bébé. J’ai prévenu ma maman qui bien évidemment à 2h30 du matin dormait j’ai donc réussi à joindre ma petite sœur en lui hurlant au téléphone que mon bébé était mort (quelle horreur pour une tata d’entendre sa sœur lui dire qu’elle ne reverra sans doute plus jamais sa petite crotte). Ma maman m’a rappelé, elle ne savait pas quoi me dire pour me rassurer mais elle faisait ce qu’elle pouvait.
Bébé a donc été transporté à l’hôpital. Nous n’avons pas pu l’accompagner avec les secours ; heureusement nous avons été emmenés par les policiers. En arrivant à l’hôpital Bébé a passé un scanner cérébral. Nous étions dans une attente interminable. Nous avons pu enfin voir notre bébé 4 heures après son arrivée.
 
Le 17 au matin j’ai décidé de contacter ma grande sœur avec qui j’étais en froid. Mon conjoint avait refusé catégoriquement, à ce moment nul ne savait pourquoi. Ma grande sœur et son mari ont décidé de nous rejoindre pour nous accompagner dans cette épreuve. Ils sont arrivés en fin de soirée. Quel soulagement de se sentir soutenus. Quand ils sont arrivés, nous avons discuté puis nous avons décidé d’aller nous reposer un petit peu. Personne n’a pu le faire sauf le papa.
Cette nuit-là j’ai reçu un coup de téléphone en me stipulant qu’il fallait qu’on vienne au plus vite car notre fils ne passerait pas la nuit. Notre petit guerrier n’est finalement pas décédé cette nuit-là.
 
Le dimanche toute la famille nous a rejoint. C’était tellement bon de se sentir entourés, mais malheureusement, ce jour-là, nous avons reçu un coup de massue sur la tête. Nous étions convoqués dans le bureau du Professeur pour que le corps médical nous annonce que notre fils avait été maltraité. Je me suis énervée car c’était impensable que nous puissions faire du mal à notre bébé. Quand nous sommes sortis du service, nous avons rejoint ma famille. On leur a expliqué de quoi on nous soupçonnait. Ma maman a donc demandé à parler avec le Professeur qui a accepté. Et là un deuxième coup de massue, on nous a annonçé à ma maman, ma grande sœur et moi-même que bébé avait le cerveau détruit, que toutes ses petites veines avaient éclaté une part une. À ce moment-là, je ne soupçonnais personne. Pour moi mon bébé avait une maladie rare voire même inconnue.
 
Le lundi, le papa et moi-même avons été convoqués à la brigade des mineurs pour entendre nos versions (c’est la procédure). Nous avons été entendus séparément. Quand on m’a encore dit que mon petit être avait été maltraité je ne comprenais pas, notre fils n’était gardé que par nous, ses parents.
L’enquêteur m’a annoncé que j’allais en garde à vue. Je lui ai répondu, moi en garde à vue ? Vous rigolez j’espère ! Je n’ai pas de casier judiciaire. Et mon fils a besoin de moi, il est entre la vie et la mort. Au final, seul le papa est allé en garde à vue.
 
Le mardi, j’étais toujours au chevet de mon bébé avec toujours l’espoir qu’il s’en sorte indemne même si les médecins n’avaient quant à eux aucun espoir. L’enquêteur m’a de nouveau convoqué pour soit disant me réentendre. Quand je suis arrivée, ce n’était pas réellement pour ce motif. Il m’a annoncé de but en blanc que c’était le papa qui avait fait du mal à notre fils, que celui-ci avait avoué l’avoir « bercé trop fort ! ». Je n’y croyais pas ! J’étais persuadée qu’ils lui avaient mis une énorme pression pour qu’il avoue quelque chose qu’il n’avait pas fait.
 
Le mercredi je reprenais espoir. Mon bébé avait passé un électroencéphalogramme qui montrait une toute petite activité électrique. J’apprenais que le lendemain il aurait un IRM cérébrale pour savoir si ses hématomes sous duraux allaient se résorber. Les enquêteurs me recontactent pour me dire que le papa allait être déféré devant la juge. Un des enquêteurs m’a demandé ce que je voulais, c’est à dire soit que le papa aille en détention provisoire soit qu’il soit en liberté conditionnelle. Il a aussi ajouté « ce n’est pas pour influencer votre choix mais ça serait ma femme qui aurait fait du mal à l’un de mes enfants je la tuerais ». J’ai alors compris qu’il ne fallait pas qu’il soit dehors.
 
Le jeudi ma petite sœur est venue pour dire au revoir à sa petite crotte (c’est comme ça qu’elle l’appelait) quand nous sommes arrivés devant la porte de la réanimation pédiatrique et que j’ai sonné on m’a répondu : « ah vous voilà enfin, on vous attendait ! »
Nous nous sommes avancés vers la chambre, ma maman a compris de suite que c’était la fin, il y avait un drap blanc sur la porte de la chambre. Il y avait plein de médecins y compris la cheffe pédiatrique. Ce médecin s’est approché de moi en m’expliquant que mon bébé n’avait pas supporté le transport jusqu’à l’IRM. Il avait dû changer de respirateur artificiel pour opter pour un plus petit, malheureusement la machine était beaucoup plus petite et beaucoup moins performante. On m’apprenait que c’était la fin. Mon monde s’écroula pour de bon. De plus il fallait que je choisisse de soit le débrancher soit le laisser partir seul. Ma réponse a été claire, je ne voulais pas le débrancher et s’il partait seul je ne voulais pas entendre ce foutu bip de fin. Elle m’a demandé si je voulais le prendre une dernière fois dans mes bras ce que j’ai évidemment accepté. L’infirmière puéricultrice qui s’occupait de mon bébé depuis son arrivée est entrée dans la chambre pour mettre mon bébé dans mes bras. Mon bébé a calé sa tête contre mon cœur et s’est endormi paisiblement à tout jamais. Je me rappelle encore avoir hurlé de douleur et la pauvre infirmière impuissante face à mon désarroi s’est à son tour effondrée.
Elle a ensuite repris ses esprits, s’est excusée et m’a demandé si je voulais l’accompagner pour la toilette de mon fils. Je n’ai pas pu la faire j’étais beaucoup trop dévastée, alors je suis restée là, stoïque face à mon fils mort mais si paisible. Nous étions 4 ce jour-là, ma maman et mes deux sœurs, dans ce malheur nous étions unies. Mon beau-père que je considère comme mon papa ne pouvait pas être présent je n’ose imaginer sa culpabilité.
 
Quelques jours plus tard nous avons pu offrir une magnifique cérémonie à mon petit bout de choux. Bien-sûr tout cela n’aurait pas eu lieu sans le soutien et l’aide de ma famille.
 
Suite à plusieurs discussions avec ma famille nous avons décidé ensemble de se porter partie civile. L’expertise médicale n’a pas pu donner le nombre exact de secouements car Maël avait la boîte crânienne remplie de sang. Cependant, il s’avère qu’il avait des fractures qui dataient d’avant la nuit de son décès (le père avait donc déjà dû perdre le contrôle avant les secouements fatidiques). Depuis, le père a souvent changé de versions, notamment en apprenant les fractures de Maël, en disant qu’il avait soi-disant voulu le rattraper alors qu’il chutait du canapé…
 
Aujourd’hui je suis toujours dans ce combat permanent. Nous sommes dans l’attente d’un procès, on espère que justice sera rendue à mon fils. Quant au papa, il est sorti de détention provisoire le 15 mars 2019 après seulement un an d’emprisonnement. Aujourd’hui il est libre et refait sa vie.
 
Je tenais à vous dire que cela n’arrive pas qu’aux autres. Je vis en permanence dans la culpabilité de ne pas avoir su protéger mon petit. Et surtout je me pose cette question perpétuelle mais avec qui ais-je fait mon enfant ? Il faut aussi savoir que cela n’arrive pas qu’aux familles défavorisées, qui sont sans travail, sans famille, sans amour, avec le l’alcool ou même de la drogue.
 
Personnellement on avait tout : un travail, un foyer, un bébé, de l’amour, des amis, de la famille, et tout ce qu’il faut pour être heureux.
 
Aujourd’hui, je m’accroche à mon projet professionnel. Je suis en formation aide-soignante et mon souhait est d’être infirmière puéricultrice, notamment au sein des urgences pédiatriques.
Je sais malheureusement ce que c’est de perdre un enfant et souhaite venir en aide aux gens qui traverseraient un tel drame. Je fais un maximum de prévention sur le syndrome du bébé secoué auprès de tous les professionnels de santé que je côtoie au sein de ma formation. La clé est d’en parler afin de sauver des vies.
 
 
La Maman de Maël