Vendredi 1er avril 2016, le jour où notre vie a basculé, celle de notre fils Gaspard, âgé de 7 mois à l’époque et celle de notre famille au complet.
Je suis Aurélie, 33 ans, en couple avec Edouard depuis 12 ans. Nous sommes les parents de 3 petits garçons : Arthur, 9 ans, Gaspard, 5 ans et Lucien, 14 mois.
Le 1er avril 2016, une date qui restera à jamais gravée pour toujours. Cette journée avait pourtant débuté comme beaucoup d’autres. Gaspard avait passé une bonne nuit, avait pris son biberon comme tous les matins. Je l’ai ensuite déposé chez sa nounou vers 8h45/9h, souriant, avant de partir au travail.
Vers 16h45/17h00, mon téléphone sonna et je vois s’afficher sur l’écran « Nounou Gaspard ». De suite, je sens que quelque chose ne va pas, je suis censée le récupérer à 17h45 et si elle m’appelle à 17h00 j’imagine que c’est « urgent » …
En un quart de seconde, tout s’écroule, tout se mélange, je ne comprends pas grand-chose, j’entends les cris de la nounou au téléphone, mon cœur se serre et mon cerveau se met sur pause. Je lui crie dessus pour essayer de comprendre ce qu’il se passe. Seuls les mots : Samu et arrêt respiratoire me font comprendre la gravité de la situation.
Au bord de l’évanouissement et ayant la chance de travailler en face du CHU, je me rends directement aux urgences pédiatriques.
Sur le trajet, j’appelle mon conjoint, ce moment reste très vague, je ne me souviens de rien, ni de la façon dont je lui ai annoncé ce qu’il se passait.
En arrivant aux urgences, le SAMU n’était pas encore arrivé. Ma collègue de travail, qui m’a accompagnée, est resté auprès de moi jusqu’à l’arrivée d’Edouard.
Le SAMU est arrivé en trombe, le pompier me fait monter dans le camion, je vois mon bébé le regard dans le vide, hurlant, ne me reconnaissant pas. Ses yeux se révulsaient, cette vision ne me quittera jamais.
Une équipe médicale d’une dizaine de personnes s’agitait autour de nous. Gaspard est rapidement branché de partout. A ce moment précis, plus rien n’existe, je suis l’ombre de moi-même. Un des pompiers me prend la main, me regarde droit dans les yeux et me souhaite bon courage. J’ai senti sa compassion, son émotion. J’ai appris, par la suite, que ce pompier avait un petit garçon du même âge que Gaspard.
Son papa me rejoint aux urgences, juste avant que Gaspard ne soit emmené au scanner. Nous sommes invités à le suivre, nous parcourons les couloirs à une vitesse folle. On nous installe dans une petite pièce, tous les deux, pendant que Gaspard passe son examen. Nous sommes terrorisés, perdus, une multitude de questions nous traverse l’esprit.
Après le scanner, nous remontons en chambre pour attendre le résultat. J’ai le droit de prendre Gaspard dans les bras, il est sous morphine, ne réagit pas et ressemble à une poupée de chiffon. Une heure après, un médecin me demande de reposer mon fils dans son lit et de le suivre dans un bureau où trois médecins sont présents. Leurs visages sont fermés. L’un d’eux nous annonce que le pronostic vital de Gaspard est engagé, que son cerveau saigne, qu’il a fait un arrêt respiratoire dans son lit chez sa nounou. Nous demandons immédiatement à quoi sont dus les saignements et plusieurs possibilités sont évoquées : maladies, chute, maltraitance …
Nos cœurs de parents se brisent. Chacun réagit à sa façon. Mon conjoint est sorti de la pièce, choqué. Pour ma part, je suis restée de marbre, impossible de sortir un mot, même mes larmes ne coulaient plus. L’état de choc a été si important que les souvenirs restent vagues. Les médecins nous annoncent que Gaspard va monter au service de réanimation et qu’il sera héliporté dans la nuit vers le CHU d’Angers, au service de pointe de neuropédiatrie.
Avant son départ pour Angers, Gaspard fera plusieurs crises d’épilepsie et un arrêt respiratoire. Afin de préserver un maximum son cerveau, Gaspard sera plongé dans le coma.
À Angers, Gaspard passera 15 jours en réanimation pédiatrique, intubé, dans le coma, branché à de nombreuses machines pour l’aider à respirer, pour l’alimenter, pour lui donner ses médicaments etc… Cette image restera à jamais dans ma tête, voir son bébé, si petit, qui nous souriait le matin même, dans ce lit d’hôpital, entre la vie et la mort. J’espérais me réveiller de ce cauchemar.
Ensuite, il passera 15 jours au service de neuropédiatrie sous surveillance.
Pendant ces 4 semaines où nous sommes restés à son chevet nous n’avons pas cessé de l’embrasser, de l’encourager et de lui demander de se battre ! Nos journées étaient rythmées par différents examens médicaux : IRM, fond d’œil, électrocardiogramme etc.
Nous avons dû également affronter la réalité, apprendre que notre bébé avait été victime de secousses par sa nounou, les visites du médecin légiste pour constater les violences, les interrogatoires de la brigade des mineurs et les gardes à vue de la nounou avec un discours différent à chaque fois.
Afin de faire un point sur l’état médical de Gaspard, nous sommes convoqués le samedi 2 avril 2016, avec l’équipe médicale (chef de service, internes, infirmiers, psychologues …). On nous annonce que notre petit Gaspard a de faibles chances de survie et que si tel est le cas, il aura probablement d’énormes séquelles ou sera un « légume ». Notre enfant a été victime du Syndrome du Bébé Secoué ! Aucun parent ne devrait avoir à vivre ça. Cette sensation que tout s’effondre. Cette peur, cette incompréhension et cette colère qui arrive petit à petit. Une culpabilité indescriptible s’installe.
Nous sommes pris en charge par des psychologues. L’annonce à nos familles fut un moment extrêmement compliqué. Cette journée du 2 avril 2016 fut éprouvante, nous avons dormi sur Angers car cela faisait 48h que nous n’avions pas fermé l’œil.
Arthur, notre fils aîné, nous manquait terriblement, il était à l’époque, âgé de seulement 4 ans. Mes parents s’en occupaient, nous avons essayé de le protéger un maximum mais il a bien senti que quelque chose d’anormal se passait.
Juridiquement, nous prenons un avocat spécialisé dans ce genre d’affaires et savons qu’une longue bataille judiciaire débute.
Les interrogatoires et gardes à vue de la nounou se multiplient. Ses versions changent sans cesse. Jamais elle ne prendra de nouvelles de notre fils, aucun message, aucun appel, aucun courrier … rien ! Comment peut-elle se regarder dans un miroir chaque jour alors qu’elle a tenté de tuer notre bébé ?
Elle sera mise sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le département.
Le 10 avril 2016, Gaspard fut extubé, moment très compliqué car il était très douloureux et nous ne pouvons pas rester auprès de lui. Quelques heures après, nous avons pu retourner à son chevet et là mon cœur de maman explose car il nous a reconnu de suite, nous a souri et serré la main. L’angoisse de la sortie du coma était de voir apparaître différents handicaps, mais à ce moment précis, peu importe le handicap que Gaspard aurait pu avoir, je voulais simplement voir mon bébé ouvrir les yeux.
Nous avons ensuite passé un mois à l’hôpital et avons pu rentrer à la maison avec Gaspard.
Les premiers temps étaient difficiles, nous devions réapprendre à vivre, vivre avec les différents traitements de Gaspard, vivre avec cette peur de la crise d’épilepsie ou de l’arrêt respiratoire. Notre sommeil était en pointillé.
Gaspard aura régulièrement des examens médicaux jusqu’à ses 3 ans, plusieurs IRM, plusieurs fonds d’œil etc. ; son suivi sera plus approfondi pendant toute sa croissance. Mon bébé va bien, les résultats sont bons. Mais moi sa maman comment je vais ?
La haine envers cette assistante maternelle m’envahit et cette envie de lui faire payer, de se venger, combien de fois m’a-t-elle traversé l’esprit ? Je ne les compte plus mais je reprends rapidement ma lucidité. Notre famille a déjà souffert, il est hors de question de prendre le risque de finir derrière les barreaux.
J’ai été arrêtée pendant 5 mois pour m’occuper de mes enfants, me reconstruire psychologiquement. Cette épreuve aurait pu nous détruire complètement que ce soit notre couple ou notre famille.
Edouard et moi avons affronté cette épreuve main dans la main. Nous nous sommes soutenus, avons beaucoup pleuré, beaucoup hurlé de douleur.
Les mois et les années passent, Gaspard devient grand frère le 25 juin 2019. Il est très fier d’accueillir Lucien.
Quasiment 4 ans après ce drame, le jour du procès arriva, le mercredi 6 novembre 2019. Une journée que nous attendions mais que nous redoutions. Devoir se retrouver face à elle, contrôler cette haine et cette colère qui nous envahit. Le procès a débuté à 14h00 et se terminera à 20h30.
Pendant l’audience, la juge interrogea la nounou, la poussa dans ses retranchements mais jamais elle n’avouera son geste. Nos larmes ont coulé du début à la fin, tous ces mauvais souvenirs ont refait surface. Écouter la juge lire le déroulement de cette journée du 1er avril 2016, fut une souffrance intense mais qu’il était nécessaire de faire.
Ensuite, écouter la nounou, ses explications qui n’ont aucun sens.
Elle fût condamnée à 2 ans de prison avec sursis avec obligation de soins, et interdiction d’exercer.
Elle partira de ce tribunal avec son secret, jamais je n’entendrai de sa bouche ce qu’elle a fait subir à mon bébé.
Aujourd’hui, presque 10 mois après le procès, nous voulons ouvrir une nouvelle page de notre vie de famille. Nous n’oublierons jamais, mais nous devons, pour nous, pour nos enfants, apprendre à vivre avec. Gaspard a 5 ans, c’est un enfant plein de vie, attachant et qui aura ce vécu que nous tâcherons de lui expliquer un jour.
Nous mesurons notre chance, nous n’avons pas le droit de baisser les bras, il s’est battu comme un lion et pas un jour ne passe sans remercier notre bonne étoile. On a touché à notre chair, nous ne pardonnerons jamais ce geste, mais Gaspard est à nos côtés et c’est ce qui est de plus important à nos yeux.
Notre famille, nos amis, nos collègues ont tous été touchés par notre histoire, il arrive encore régulièrement que l’on en parle. Nous ne voulons évidemment pas généraliser cette situation, il y a des tas d’assistantes maternelles compétentes !
A présent, une autre étape nous attend. Se préparer au jour où Gaspard sera en âge de nous poser des questions. Lui expliquer ce qu’il a subi, son parcours médical etc. … je ne me sens pas la force à l’heure actuelle de lui raconter, il est trop jeune et c’est encore trop « frais ».
En tant que parents, il est difficile de ne pas se remettre en question, c’est nous qui avons choisi cette nounou, c’est nous qui laissions chaque matin notre bébé à cette personne. Nous partions l’esprit tranquille. Pourquoi je n’ai rien vu ? Pourquoi je n’ai pas eu de pressentiment ? Ces questions me hanteront à vie.
Ne dites jamais que cela ne vous arrivera jamais ! Moi la première, je ne pensais pas que ce drame toucherait notre famille. Nous ne sommes à l’abri de rien, cela peut toucher tout le monde !
Merci à toi mon petit guerrier d’être près de nous aujourd’hui.