Syndrome du Bébé Secoué : récit d’un procès …

25 Nov, 2020 | Prévention, Témoignages

Cela fait 4 ans que nous attendons ce procès.
1478 jours que nous attendons que Justice soit rendue à notre fils Swann et à notre famille.
 
Ce procès, je m’y suis préparée psychologiquement. Je sais que cela va être un moment stressant, difficile et douloureux.
Je vais me retrouver à quelques pas de Manuela, L’Assistante Maternelle qui a failli tuer mon bébé de 11 mois, qui l’a maltraité à plusieurs reprises en seulement 10 jours de garde. Être en sa présence n’est pas ce qui m’angoisse le plus, car elle vit à une centaine de mètres de chez nous, depuis 4 ans je l’entends et la vois très régulièrement vivre sa vie tranquillement, bavarder avec des voisins, rentrer de son shopping, recevoir ses enfants, s’occuper de sa petite-fille.
Cette femme qui a secoué mon bébé au point que les veines qui relient son cerveau à sa boite crânienne rompent, que le sang envahisse sa petite tête, que ses yeux saignent, qu’un de ses bras soit partiellement fracturé.
Cette femme qui m’a privée de mon bébé durant les 52 jours qu’a duré son placement provisoire. Cette femme à cause de laquelle mon bébé a dû subir 3 opérations, 2 mois d’hospitalisation en rééducation, des séances de kiné et de psychomotricité pour retrouver l’usage de son bras et de sa jambe droite.
Cette femme à cause de laquelle nous avons été soupçonné du pire, avoir maltraité notre bébé. Cette femme à cause de laquelle nous avons dû nous mettre à nu durant 9 mois devant des parfaits inconnus, policiers, juges, Aide sociale à l’enfance, psychologues, assistantes sociales.
Cette femme à cause de laquelle notre fils aîné, qui allait avoir 6 ans à l’époque, a dû être retiré brutalement de sa classe pour aller subir en urgence un examen médical approfondi à l’Institut Médico-légal pour vérifier que nous ne l’avions pas maltraité, et qui a été privé de son petit frère pendant près de 2 mois.
Cette femme qui n’a jamais reconnu les faits durant ses 2 gardes à vue malgré l’évidence.
 
Je sais que les heures qui nous attendent vont être éprouvantes, mais honnêtement, je me dis que ça ne peut pas être pire que tout ce que nous avons déjà traversé : la peur indescriptible que notre bébé meurt, puis celle qu’il reste handicapé, le poids des soupçons, l’engrenage socio judiciaire, le suivi intrusif de l’Aide Sociale à l’Enfance, les passages devant la Juge pour Enfants avec à chaque fois la peur que notre bébé ne soit placé….
A côté de tout ce cauchemar, vivre le procès tant attendu ne me parait pas une épreuve si difficile. Comme quoi, même après tout ce que j’ai vécu, je suis encore bien naïve….
Je suis assez confiante quant à la prononciation de sa culpabilité, notre dossier est solide avec notamment 2 expertises médicales arrivant à la même conclusion, et de nombreux témoignages de parents faisant état de faits anormaux s’étant déroulés chez elle durant les dernières années.
Et notamment des témoignages de parents évoquant mon fils. Une maman l’avait vu en larmes dans un coin du salon, l’Assistante Maternelle agacée lui avait dit «il ne fait que pleurer celui-là » (alors qu’elle avait déclaré en garde à vue que Swann était un bébé qui pleurait peu, agréable à garder) et quand la maman avait demandé le prénom de mon fils, l’Assistante Maternelle avait dû regarder dans le carnet de santé car elle ne s’en souvenait pas.
 
Elle est poursuivie pour « violences sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité » et encours 10 ans de prison. A l’origine, le chef d’accusation retenu lui faisait encourir 20 ans, mais la Justice souhaitant désengorger les Cours d’Assises, les faits ont été requalifiés pour passer en Correctionnelle. Telle est la réalité du SBS, excepté les cas où le bébé ne survit pas, rares sont les affaires qui passent aux Assises, alors que les faits commis sont les mêmes, que les bébés victimes y survivent ou non, quelles que soient les séquelles qu’ils en gardent.
J’ai peur de la peine qui sera prononcée, car je sais que dans les cas de SBS elles sont très faibles par rapport aux peines encourues, en particulier lorsque les enfants ne gardent pas de lourdes séquelles, ce qui est le cas de Swann.
 
Une dizaine de nos proches sont présents pour nous soutenir. La distance, le travail et la situation sanitaire en ont empêché d’autres de venir. Notre fils aîné, qui vient d’avoir 10 ans, a tenu à assister au procès. Pour la première fois en 4 ans, nous ne serons pas seuls pour affronter cette nouvelle étape judiciaire.
A notre arrivée, je vois l’Assistante Maternelle dans la salle d’audience, et découvre qu’elle est venue seule, sans aucun proche ni membre de sa famille. Je comprends que c’est parce qu’elle ne veut pas que quiconque connaisse le détail des faits qui lui sont reprochés. Tant qu’à se complaire dans le déni et le mensonge, autant le faire jusqu’au bout.
L’avocate de la Défense transmets de nouvelles pièces à notre avocate. En voyant les documents, qui remettent en cause les données scientifiques du SBS, je sais pertinemment qui a conseillé cette avocate : l’avocat qui s’est spécialisé dans la défense des personnes mises en cause dans les affaires de SBS. Je connais sa façon de faire et l’association pour laquelle il travaille. Je ne suis pas surprise, je m’y attendais, et notre avocate a pour cela cité à comparaitre une experte renommée, la référence française en matière de SBS.
 
A notre entrée dans la salle d’audience, la Présidente s’oppose à la présence de notre fils aîné car il est mineur. Notre avocate devra lui expliquer que notre fils est lui aussi une victime, collatérale, des faits et qu’il a besoin d’assister à cette étape décisive dans le drame qu’a vécu notre famille.
L’Assistante Maternelle que je découvre dans la salle d’audience est bien loin de celle que je connais. Son image de pauvre femme abattue et déprimée est bien travaillée, elle n’a rien avoir avec la femme que je croise régulièrement.
Durant les 2h que durera le procès, elle ne parlera que très peu, répondant tout juste aux questions des juges mais parlant d’elle pour s’apitoyer sur sa situation, et elle se contentera de répéter « je n’ai pas fait de mal au petit ».
A de nombreuses reprises, je la fixe pour affronter son regard. Elle n’aura même pas ce courage là. Ni celui de regarder la démonstration du secouement que fera notre avocate avec le poupon de prévention.
L’experte que nous avons citée démontera point par point les argumentaires de la Défense visant à remettre en cause les conclusions avancées lors des deux expertises.
La Présidente donnera à plusieurs reprises à l’accusée l’opportunité de revenir sur ses déclarations, visiblement agacée par son comportement. Mais aucune réaction, aucun sentiment exprimé, rien.
 
Premier coup de massue, la Procureure requiert 3 ans de prison dont 1 an ferme avec bracelet électronique, et je sais que très souvent les peines prononcées sont en deçà des peines requises.
Mais ce n’est rien par rapport à ce que nous allons subir avec la plaidoirie de l’avocate de la Défense.
Car lors d’un procès, la parole finale est à la Défense. Tout est permis lors de cette plaidoirie, y compris les mensonges, car vous ne pouvez rien dire, rien réfuter ensuite.
Son avocate la présentera comme une victime, une pauvre femme qui subit cette situation très difficile pour elle, et dont la vie est bouleversée.
Elle mentira en disant que la pression de nos soutiens dans le public était palpable durant le procès, à cause des badges « Stop Bébé Secoué » (5 cm !) qu’ils portent, et à cause de leurs commentaires de réprobation (personne n’a fait le moindre commentaire durant l’audience).
Elle mentira en disant que le profil de sa cliente ne correspond absolument pas au profil habituel des auteurs de secouements.
Et surtout elle remettra en cause la datation des faits, confirmée par 2 expertises différentes. Elle finira donc sa plaidoirie, avant de demander la relaxe, en sous-entendant que mon mari ou moi pouvons être les coupables.
Les mots me manquent pour décrire ce que j’ai ressenti durant cette plaidoirie.
Que son avocate la présente comme une victime et tente d’apitoyer les juges, je m’y étais préparée. Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, je ne m’attendais pas à ce que la stratégie de la Défense soit de nous mettre en cause, nous.
Des larmes de colère coulent sur mon visage, mon corps est pris de tremblements, la rage obscurcit ma vision, je serre fort la photo de Swann dans une main, dans l’autre la main de mon mari.
Cette fureur, cette rage, c’est la première fois que je la ressens pour quelqu’un d’autre que l’assistante maternelle. Mon mari, qui voit mon état, me propose de sortir de la salle, ce que je refuse. Pour mon fils, pour notre famille, je me dois de tenir le coup et d’écouter jusqu’au bout cette plaidoirie immonde.
 
L’heure des délibérations est venue, je me rue hors de la salle pour sortir sur le parvis, je manque d’air, j’ai la tête qui tourne, tout mon corps tremble. Mes proches essaient de me réconforter, mais je suis incapable de me calmer, de parler, d’accepter leurs étreintes. L’avocate de la Défense sort à son tour, passe juste devant notre groupe, l’air triomphant, un large sourire aux lèvres, et s’arrête à quelques mètres, face à nous. Le parvis est pourtant vaste. Des amies font « barrage » entre elle et moi, car à ce moment là je n’ai qu’une envie, lui sauter à la gorge.
 
Ce n’est que quelques jours plus tard que je réaliserai qu’en réalité, la violence de sa plaidoirie avait comme but de nous faire craquer, mon mari ou moi : si nous avions « pété un plomb » au tribunal, cela lui aurait sans doute permis de dire « vous voyez, ils cèdent à la colère, donc qui vous dit que cela ne s’est pas produit avec leur bébé ? ».
 
Après 20 minutes de délibéré, le verdict est prononcé. Les Juges ont suivi les réquisitions de la Procureure, et vont même au-delà.
3 ans de prison dont 1 an ferme avec bracelet électronique, obligation de soins, et interdiction définitive d’exercer une activité en lien avec les enfants.
Elle n’a pas fait appel de cette décision.